Réédition en écho à la vidéo de MARCUS
Plage de Cascais. Portugal. Cath mai 2007
Il était une petite fille...et la mer
"
Tu sais, je suis née au bord de la mer, mais je ne m'en souviens pas.
Mais je pense qu'elle se souvient de moi, parce qu'à chaque fois que je
me rapproche d'elle, elle m'appelle. Non, non, ne crois pas que je suis
folle, et que j'entends des voix. Elle m'appelle dans un langage que
seule je peux comprendre, avec une voix que seule je peux entendre,
avec une odeur que seule je sens. J'ai de la chance parce que
la mer je la vois souvent. Et quand je dis la mer, c'est soit la
Méditerranée, que j'aime pour sa chaleur, pour son calme rassurant,
pour ses poissons et ses oursins. Soit c'est l'Atlantique : je sais, je
ne devrais pas dire la mer puisque c'est un océan, mais c'est aussi de
l'eau salée, qui fait des vagues et qui sent si bon. Tous
les ans, ma grand mère nous paye des vacances au bord de la mer de
Bretagne, ou de Marseille à Perpignan. Elle est un peu sévère ma grand
mère, mais rien que pour le cadeau de la mer, je lui ferai un bisou
quand je la verrai. D'ailleurs elle nous fait cadeau de la mer, mais
elle ne fait pas de cadeau à ma mère. Pas beau de rigoler avec ça, mais
entre mère et grand mère, c'est la guerre. Parfois je me dis que si ma
mère est aussi peu douce avec moi, c'est peut être que sa mère ne l'a
pas caressé assez souvent. Moi j'aime les caresses, et comme
ma mère en est un peu avare aussi, ou que ses caresses sont souvent
bizarres et douloureuses, j'aime mieux me rassasier de celles de la
mer. Elle n'est pas exigeante et m'accepte telle que je suis, quelque
soit mon humeur. Parfois je la boude un moment, si son contact est trop
froid, mais je ne tiens jamais longtemps à lui tourner le dos.J'y vais
doucement, la laissant me lècher d'abord les doigts de pied, doucement.
Je recule bien un petit peu, mais elle me donne ses vaguelettes qui
mouillent bientôt mollets, genous et fesses. A quoi bon résister! Je me
sens déjà si légère et je marche plus loin pour qu'elle enveloppe mon
ventre sans me faire sursauter de froid. C'est vrai qu'après cette
caresse sur la partie de mon corps la plus difficile à réchauffer, je
n'hésite pas à me plonger dans son eau si salée, et me laisser flotter
sur le dos, bercée par ses mouvements si doux que je pourrais m'y
endormir comme un bébé. Parfois je la chahute un peu, décidée
à la rencontrer rapidement, et pouvoir jouer avec elle. Alors je prends
mon élan et je cours à toute vitesse jusqu'à elle. Si c'est l'océan,
j'attends qu'elle soit revenue à des distances raisonnables qui ne me
fasse pas m'écrouler, épuisée d'avoir tentée de la retrouver en
galopant. Quand je me précipite dedans, des goutelettes jaillissent
d'elle, comme des éclats de rire qui retombent sur ma tête et font
s'écarter les autres baigneurs frileux. Je plonge tout entière dans ses
eaux transparentes, je pourchasse ses poissons que je vois plus gros
qu'ils ne sont, je fais des galipettes, des figures gymniques que je
serais bien incapable d'exécuter sur le sable ou en sport. Là avec
elle, je n'ai pas peur de retomber brutalement et de me faire mal, je
ne me sens pas lourde et gauche...elle me donne son soutien pour me
permettre de me transformer en sirène. Je ne sors de son eau que quand
mes lèvres violettes alertent mes parents qui m'ordonnent d'en sortir
pour que je ne prenne pas froid. Alors, je reste en contact avec elle,
enroulée dans ma serviette, en restant debout à la lisière des vagues,
qui font s'enfoncer mes pieds, loin dans le sable. Mais
quand elle est agitée, que ses rouleaux grondent et fracassent
coquillages, crabes et rochers, je ne veux pas y entrer. Je ne fais que
la regarder. Je ne veux pas qu'elle me fasse mal, mais j'admire sa
force et sa beauté en mettant de côté qu'elle peut être violente et
dangereuse. Je ne vois d'elle que son écume et les gerbes blanches
qu'elle envoie dans les airs en se fracassant sur les rochers. Elle
semble alors jouer avec le vent qui la fait se gonfler, avec les
rochers qui lui barre la route, mais elle est têtue, elle revient
toujours à l'assaut. Calme, sautillante ou agitée,
inoffensive ou déchaînée, je dois un peu lui ressembler, c'est surement
pour cela que je l'aime tant.
Djerba. Février 2005